SOLEIL GLACÉ (donne-moi la douleur, j’en ferai un empire) / Journal

Journal – 19 juin 2023 – 18h22

On a tous nos mythes personnels, ceux qui nous portent et nous maintiennent debout. Me concernant, j’aime à me concevoir comme une machine de guerre, de fabrication slavo-balkanique, solide et increvable. Et c’est vrai que je suis sanguine, passionnée, humide et vivante, que le sang bat à mes tempes, d’amour, de colère, de n’importe quoi pourvu que ce soit de quelque chose ; que d’une émotion je fais un drame ou une extase, d’une source un océan, d’une graine une forêt, d’un feu de paille un incendie. Tout ce que la vie me jette, je le recrache en pire : donne-moi la douleur, j’en ferai un empire. Mais en réalité, plus que portée sur les effets pyrotechniques, je suis surtout d’une grande patience. Cela ne paie pas de mine, à notre époque, à notre jeune âge, à première vue, mais ma grande audace est là. J’ai le courage suprême de croire, et de ne jamais cesser de le faire, même lorsque tout me condamne, de dédaigner quoiqu’il en coûte les charmes trompeurs de la facilité, de suivre ma vérité les yeux fermés, et de savoir m’abandonner au destin, là où tant de gens se pressent à forcer les choses ; et chaque jour me confirme la sagesse profonde de mes inclinations. L’authenticité coûte parfois cher, mais elle paie toujours. Toutes les plus belles choses qui m’ont été données, je les ai eues comme ça, à commencer par mes idées et ma force d’écriture : en m’abandonnant. C’est toujours celui qui a les mains ouvertes vers le ciel, dans l’acceptation totale de ce qui est, qui reçoit. J’ai reçu. La vie m’a confié beaucoup de fardeaux : je les ai acceptés un par un, humblement, silencieusement. Mais j’ai toujours su qu’ils étaient le revers d’une grâce, sans commune mesure avec les épreuves traversées, et la vie m’a donné raison, et elle m’a donné tout ce que je lui ai demandé au bout du compte. Ainsi, s’il y a en moi matière à tourment, beaucoup, je n’ai jamais été un terreau fertile pour les regrets. Tout me traverse, et très profondément : rien ne s’enracine. Je m’arrange toujours pour transformer à mon avantage ce qui m’arrive ou ce qu’on me fait : donne-moi la douleur, j’en ferai un empire. Je pleure et doute beaucoup, oh tellement que même ceux qui pleurent et doutent en abondance doivent me prendre pour une cinglée, mais en dernière instance, je méconnais le doute fondamental et le vide métaphysique : je suis un peu comme une barque sur l’océan, que les vagues et la tempête font vaciller violemment, dangereusement, mais qui s’accroche et qui, in fine, arrive à bon port, on ne sait comment ; tant de Titanic ont coulé en chemin, ne passant pas l’épreuve de la première traversée. Je suis remplie à chaque instant, toute débordante de ma substance, comme un petit coquillage tout plein de sa chair et dans lequel on entend tout l’océan. Régie par un instinct silencieux mais implacable, si éloignée c’est vrai des modes et des fanfares bruyantes des jeunes de mon âge, je laisse dire, je fais sagement mon travail, sans calcul, et je m’applique à accomplir le devoir du jour. Je peux attendre une proie très longtemps et je sais reconnaître l’exact moment où il faut fondre sur elle. Qu’importe que les choses prennent tout leur temps : je vise directement la tête. Le casse, et rien d’autre. Dans le fond, je perds infiniment moins de temps que ceux qui courent les turpitudes et négligent l’essentiel car j’arrive finalement au résultat espéré, et eux jamais : ce qu’ils voient ne sont que des mirages. Tandis que mon oasis à moi est bien réel. J’ai mille fois nourri des complexes sur cette nature que la société dévalue si souvent, et qui m’a tant placée en porte-à-faux avec le monde, sans jamais chercher à changer cependant, sûre de mon coup au fond de moi. En mûrissant, j’ai compris que le trésor réservé aux sincères était souvent difficile à obtenir, et lent à parvenir, menacé par mille découragements, trahisons et tentations en chemin, mais qu’il était de ceux qui remplissent l’âme, bien loin des colifichets et des pièces d’or en chocolat que la facilité fait pleuvoir sur les opportunistes et les mesquins, en veux-tu en voilà.

Je marche au dessus d’un gouffre, sur un fil précaire, le vide sous mes pieds. Je chancelle, chacun retient son souffle, et tant pronostiquent ma chute, voire la souhaitent, mon chemin se borde de mille frayeurs, mais j’arrive de l’autre côté, saine et sauve, et je n’ai jamais eu peur de me lancer, et je n’ai jamais laissé à ceux qui me regardent peiner le privilège de me décourager. Alors comment pourrais-je ne pas croire aux miracles ? J’en suis un. Vivant et bouillonnant. C’est la fondation même sur laquelle est construite ma vie : à chaque mort a toujours succédé une spectaculaire renaissance. Je suis le gage sanglant de ma propre foi.

Une image ne me quitte pas : celle d’un Soleil glacé, figé dans un hiver qui semble au final le rendre plus puissant dans son éclat, car survivant de mille embûches pour parvenir à destination, attendant son dégel imminent.

Je suis comme cette vieille chanson de Simon & Garfunkel – assez typique d’un Capricorne ascendant Balance – qui me suit depuis des années, et dans laquelle j’ai toujours bien du me reconnaître sans le vouloir : Like a bridge over troubled water.

(Écrit et publié le 19 juin 2023 sur Facebook)

A propos Altana Otovic

Tout ce qui n'est pas écriture m'ennuie. Vous savez ça, vous savez tout. https://altanaotovic.wordpress.com/2021/02/01/qui-je-suis/
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