Les femmes et l’infidélité des hommes (texte/roman)


Je n’ai pas l’habitude de partager ce type de texte, et il est possible que je ne le laisse pas en ligne longtemps, mais voici un extrait du livre que j’écris depuis mes 17 ans.

Beaucoup de femmes, lucides et conscientes de la propension de leur homme à aller voir ailleurs, préfèrent lâcher prise et accepter, plutôt que de se donner des migraines et de l’amertume à fliquer un animal qui ne sera jamais fidèle. Elles se font une raison, se disant qu’après tout, cela fait partie de ce qu’elles aiment chez lui, que sa virilité se déploie justement à travers un goût de la liberté et de l’insoumission, le besoin de prendre le large et que ce serait commettre un crime semblable à la mise en cage d’un oiseau sauvage que de vouloir le priver de ce souffle vital trouvé dans le renouvellement permanent des horizons. Beaucoup d’hommes, après tout, en tout cas dès qu’ils le peuvent, ne restent pas en pantoufles dans leur salon, ils ne rentrent pas toujours le soir, ils considèrent comme une insulte de mourir de vieillesse dans leur lit, ils trompent la mort, même modestement et piteusement, avec les moyens parfois dérisoires qu’ils parviennent à arracher au quotidien et qui ne sont pas les mêmes pour tous, jouent leur argent au casino ou au poker en ligne, et même lorsqu’ils ne font rien de tout ça, sans doute en rêvent-ils encore ; ils ont besoin de vivre en au bord d’un précipice, de se sentir proches de la chute, et donc de l’envol salutaire que cette dernière permet. N’est-ce pas même ce qui fait tout leur charme ? Alors les femmes acceptent. Quelque part, l’important, se disent-elles, ce n’est pas qu’ils s’en aillent : c’est qu’ils reviennent. L’infidélité n’est-elle pas après tout un butin de guerre rapporté à la personne véritablement aimée ? C’est ce qu’elles décident de penser. Elles se cimentent de nouveau, cette fois autour de la fierté précaire d’être l’unique femme qui accueille le retour de son marin sur la grève, d’être la photo qu’un soldat garde précieusement dans sa poche et ressort avec émotion pour y trouver de la force, avec laquelle il mourra peut-être, à l’opposé des coureuses sans importance rencontrées dans le train et au bar, des petites aventures multiples et dispersées qui sont comme un essaim de fourmis face à l’éléphant qu’est la femme officielle.
Elles se rengorgent donc dans le rôle de l’épouse centrale, et choisissent de voir dans ces tromperies des jeux inoffensifs qui sont tout autant d’offrandes à leur personne et qui leur permettent, à chaque fois, de récupérer un homme un peu plus vivant, un peu plus complet, qui viendra déverser à leurs pieds tous les trésors glanés durant ses voyages.
Renonçant à l’illusion de la fidélité, ces femmes en embrassent une autre en pensant pouvoir encadrer l’infidélité de leur mari. Après tout, le bénéfice de l’acceptation et de la lucidité, se disent-elles, c’est au moins de pouvoir prétendre avoir un minimum de contrôle sur le sujet, d’honnêteté de la part de leur conjoint. Cela leur permet de mettre des limites aux dégâts, de ne prendre que le mieux.
Je veux bien que tu ailles voir ailleurs, mais à condition de rester le pivot central de ton existence, à condition que ma supériorité sur les autres soit admise en tous lieux et en tous temps, à condition que tu me protèges et ne m’humilies jamais, à condition que tu ne t’abandonnes jamais trop, à condition que tu ne tombes pas amoureux, à condition que tu n’offres jamais à une femme les mêmes mots qu’à moi, à condition que tu ne penses jamais et ne laisses jamais tes conquêtes penser que je ne suis pas la meilleure de toutes, à condition que tu te protèges et mettes des capotes, à condition que tu ne m’apportes pas d’enfant illégitime, à condition que tu évites les conduites à risques et les endroits trop glauques. En somme, à condition que tu établisses une stricte hiérarchie qui, dans le fond, relègue toutes tes maîtresses au rôle de servantes utiles de notre relation, de serpillière dévaluées pour ma propre gloire, sans leur donner jamais l’importance que tu me donnes à moi.
Les conditions de l’infidélité deviennent alors, pour l’homme, presque aussi rébarbatives que l’idée même de fidélité.
La chose est vaine. Car ces hommes naturellement disposés à aller voir ailleurs, et assez virils pour arracher au forceps cette possibilité aux conventions sociétales, le font par goût du sexe et de la diversité, bien sûr, mais aussi par goût de la nouveauté et de l’aventure, par besoin de renouveler l’aube de l’existence en ayant sans cesse accès à de nouveaux visages, de nouveaux corps, en pénétrant et en possédant toujours un peu plus l’inépuisable beauté du monde. Les hommes qui en viennent à écouter et concrétiser cette nature, au mépris des interdits ou des conséquences parfois graves de leurs choix dans la société actuelle, sont des individus guidés par leur instinct et leur liberté, et sont par essence portés à rechercher l’expérience totale. Ils désirent étirer à l’infini le sentiment de pouvoir vivre mille vies, l’abandon à l’instant et l’oubli total qu’il procure. L’oubli. Ils ne veulent pas se souvenir de leur femme quand ils en séduisent une autre, cela nuirait au caractère fatidique et unique de l’instant : ils veulent oublier qu’ils sont mariés. À ce moment, la femme qui a les honneurs de leur désir éclipse toutes les autres, épouse comprise. Ils aiment l’adrénaline, le danger, les interdits brisés, les limites repoussées, le sentiment de marcher en lisière de ce qui est acceptable, la jeunesse éternelle du cœur. Il n’est à ce titre jamais possible d’encadrer leur infidélité, puisque c’est précisément dans la sortie de route qu’ils entendent s’accomplir, et qu’ils recherchent de par leurs mille histoires à recréer un absolu dont leur épouse n’est qu’une pièce, centrale mais moins totale que ce qu’elle croit.
Leur entrouvrir la porte, à ces hommes, c’est automatiquement voir cette dernière s’ouvrir de plus en plus. Il n’y a pas de juste milieu. Et étant admis que ces hommes – comme tous les hommes et tous les êtres humains d’ailleurs -, n’étant pas calibrés pour l’exclusivité sexuelle, seront toujours plus portés à enfreindre et ouvrir une porte qu’à la laisser fermée, il est illusoire de penser qu’entrouvrir cette dernière et collaborer avec les désirs de leur époux changerait quoi que ce soit au schmillblik.
Combien d’hommes d’État, connus pour être des coureurs, ne se sont pas contentés d’avoir des plans cul et ont eu d’importantes histoires d’amour avec d’autres femmes, nourries et attestées par des correspondances romanesques et colossales, au point où l’on finissait souvent par découvrir une seconde femme, parfois aussi importante que la première, bien que dans l’ombre, jouant un rôle différent, mais parfaitement égal ?
L’idée de l’homme qui différencie totalement l’amour du désir, qui trompe son épouse avec mille femmes mais qui n’aime que la première et ne fait que désirer les secondes, les prenant pour du gibier ou des trous ambulants, n’est que partiellement juste. S’il est vrai que les hommes sont souvent capables de séparer l’amour du désir, et qu’ils idéalisent leur femme qui a d’une certaine manière pris la suite de leur figure maternelle, on se raconte trop souvent des histoires sur leur incapacité prétendue à aimer plusieurs femmes ; précisément parce qu’aucune d’entre elles n’est sa mère, une source totale ou un absolu. Ils vivent très bien cette duplicité, cet éclatement, cette dispersion, et cela, les femmes ne veulent pas l’entendre. C’est la dernière corde qui les rattache au couple conventionnel et à ses illusions, l’extrême limite qu’elles ne veulent pas voir franchie, mais elles ont précisément épousé des individus – des hommes – portés à repousser ces dernières, à ne connaître d’autre règle que celle de l’instant, et à trouver là une forme d’éternité. Seuls quelques êtres à la concentration rare et passionnée font exception à cela. Ce sont les hommes de serment qui trouvent de la force dans l’intensification, dans l’acte de creuser un même vivier jusqu’à la fin de leur vie ; ce sont les hommes d’une seule femme, qui s’épanouissent dans le quotidien, mangent avec plaisir le même repas tous les jours, pourvu qu’il tienne au corps, s’endorment le soir agrippés comme des marmots aux plis du ventre de leur épouse et y trouvent du contentement, du réconfort ; ils ont le goût des agriculteurs à la vie pénible, des mineurs fatigués, des sédentaires, qui puisent infatigablement et chaque jour, dans la même terre, la ressource qui donnera le repas. Et même eux, n’ont-ils jamais rêvé d’ailleurs ? Sont-ils tous fidèles par fidélité essentielle ou parce que leur survie, cristallisée autour de quelques éléments-clés, ne permet que peu d’évasion ? Le labeur est dur, la vie est dure, et ils viennent le soir se consoler de l’existence auprès de celle qui la rend un peu plus belle, avec une gratitude toute enfantine, et une fixité touchante qui est celle de l’honnête homme dont la vie quotidienne n’est pas facile et qui ne souhaite pas se la compliquer en courant des chimères.
Il y a aussi des hommes qui vont voir ailleurs mais idéalisent leur épouse, et pour qui les maîtresses ne sont que des liaisons de passage, des orifices sans distinction les uns des autres.
Oui, il y a des exceptions, mais elles doivent leur existence à la multiplicité des tempéraments et à une nature plus concentrée chez les uns que chez les autres : elles ne constituent, en aucun cas, une règle.
Attendre d’un homme qu’il puisse s’abandonner à une autre femme sans jamais être ébloui par elle, c’est illusoire, touchant de naïveté et d’un narcissisme bien compréhensible puisqu’encouragé par la société. C’est même, à bien y regarder, une insulte au foisonnement et à la beauté du monde. Vouloir être le seul oiseau d’une forêt… !!
D’ailleurs, si elles sont parfaitement honnêtes avec elles-mêmes, les femmes devront reconnaître que cette tendance se trouve aussi en elles, à un état plus inhibé, par la société, et par la biologie qui leur permet d’avoir mille partenaires sexuels mais leur commande en revanche, durant les neuf mois d’une grossesse, une certaine fermeture au monde.
Cela, d’ailleurs, les hommes ne veulent pas l’entendre non plus : les femmes sont moins constantes qu’elles n’y paraissent. Elles aiment aussi le sexe pour le sexe. Elles y mettent du sentiment, souvent, bien sûr, la plupart en tout cas… mais combien de sentiments de femmes sont fugaces et ne passent pas l’embouchure de la nuit ! Rien d’autre que de la rosée matinale qui se croit bonne pour l’éternité au moment où elle tombe sur l’herbe, mais qui s’évapore aux premières heures du jour.

Écrit et publié le 13 janvier 2023 sur FB.

A propos Altana Otovic

Tout ce qui n'est pas écriture m'ennuie. Vous savez ça, vous savez tout. https://altanaotovic.wordpress.com/2021/02/01/qui-je-suis/
Cet article a été publié dans Uncategorized. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire