Les mensonges par omission de Vladimir Poutine concernant l’Ukraine…

Interviewé par le journaliste américain Tucker Carlson, Poutine a une fois de plus baladé son monde, en jouant au pacifiste incompris contrarié dans ses projets de paix par un Occident guerrier. On ne peut s’empêcher de penser à ces « brouteurs » d’internet qui veulent à tout prix vous offrir 1 million d’euros, et qui sont vraiment très très déçus et très malheureux de ne pas pouvoir le faire, les pauvres… 
La culpabilité de l’un ne signe pas l’innocence d’un autre. S’il n’est pas question de dire que l’Occident est une oie blanche n’ayant jamais, au grand jamais, agi avec rapacité pour élargir son influence et dominer des peuples, et peut-être même dans cette guerre (qu’en sais-je après tout ?), cela ne disculpe sûrement pas la Russie de ses erreurs les plus meurtrières.

Le président russe s’est donc lancé dans une très longue explication historique sur l’Ukraine, étalant ses connaissances encyclopédiques sur le sujet, dates, évènements et même documents à l’appui.
Très bien. On ne parle pas assez d’histoire. Tout au plus les gens évoquent-ils le XXème siècle et l’URSS, ce qui est loin d’être suffisant pour comprendre la guerre en Ukraine. Je trouve que c’est une très bonne idée de fouiller plus loin, plus large, plus profond, quitte à s’étaler en longueur : le sujet est trop important pour être radin de son temps et vouloir s’économiser vingt misérables minutes d’écoute attentive. Mais ce que nous dit Poutine procède comme d’habitude du mensonge par omission ; un blanc mensonge, chaste en apparence, mais qui fait fi de l’essentiel. Car si mes connaissances historiques ne me permettent pas du tout de suivre le monsieur sur un terrain savant et historique qu’il maîtrise incontestablement mieux que moi, j’en sais en revanche suffisamment pour être frappée par la malhonnêteté de son argumentaire. 

Poutine nous explique dans sa longue tirade que l’Ukraine n’a pas le droit d’exister et qu’elle n’est pas légitime à se constituer en état, dans ses frontières actuelles, qui sont les mêmes depuis son indépendance en 1991, puisqu’elle serait un espèce d’état-fantôme, un accident, bricolé au gré des opportunités, des contextes, des caprices de l’histoire, des guerres, des manipulations et des intérêts géo-stratégiques des uns et des autres. Bingo ! Vladimir Poutine vient de découvrir pour la toute première fois l’histoire des nations ! Car je ne sais pas comment il pense que les frontières de sa chère Russie se sont dessinées, mais les nations ne sont pas des cadeaux tombés du ciel dans un gros paquet ; elles ne sortent pas de la cuisse de Jupiter ou des entrailles de la nature. Elles sont des créations humaines, parfois accidentelles, parfois arbitraires, issues des plus grands hasards, des plus grands coups de théâtre, et aussi des plus grandes injustices. Que Poutine aille demander à ses proches voisins ce qu’ils en pensent. Les Chinois se souviennent, encore aujourd’hui, des 2 millions de km2 de territoire qui leur ont été habilement subtilisés par la Russie, pendant un instant de faiblesse historique consécutif à la chute de la dynastie Qing, et ce en vertu de ce qu’ils appellent désormais avec amertume les « traités inégaux ». Une très grande partie de la Russie foisonne d’ethnies et de peuples qui pour certains n’auraient pas rechigné à avoir leur indépendance, ou être ralliés à un autre pays. La Russie, en fait, de par son immense territoire, est mieux placée que quiconque pour savoir qu’une nation n’est jamais uniforme, qu’elle est un bel accident, une combinaison miraculeuse, une unité qui ne coule pas de source et qui se révèle pourtant, selon ce qu’on en fait, parfaitement censée. D’après la légende, face à un Sarkozy lui reprochant la gestion autoritariste de son pays et des diverses régions et populations qui la composent, Poutine lui aurait expliqué – non sans prendre un air de supériorité – que la taille, la géographie et la diversité de la Russie, sans commune mesure avec celles de la France, l’y obligeaient… 

Le monde est constitué de ces états qui n’étaient pas destinés à en être, si l’on se base sur les indications prévisibles telles que l’ethnie, la religion ou même la langue. C’est la règle plus que l’exception. La France s’est fondée sur un agrégat de petites régions, de langues et de cultures, sur l’union du Nord et du Sud, de la langue d’Oil et la langue d’Oc, des racines germaniques et latines, et une infinité de particularismes régionaux qui furent parfois matés avec violence au cours des siècles. Elle ne devrait pas exister. De même qu’il aurait fait sens de rendre la Corse à l’Italie, et la Bretagne à l’Angleterre. Et pourtant, nous sommes là, tous ensemble, et les siècles ont fait que personne ne contesterait aujourd’hui l’existence d’un pays qui s’appelle la France ; qui a ses limites, comme toute nation, et qui ne suffira jamais à circonscrire et définir dans leur ensemble des individus infinis par essence, mais qui n’en est pas moins là.  

Si Poutine est persuadé que pour les raisons énoncées plus tôt, l’Ukraine ne mérite pas de vivre, alors pourquoi ne rend-il pas leur autonomie aux petits territoires du Caucase, qui ont pourtant incontestablement une identité bien à eux ? Pourquoi ne rend-il pas à la Chine les territoires qui sont à elles et où vivent des gens qui se sentent sans doute plus chinois que russes ? 

D’ailleurs, le comparatif que nous établissons ici a ses limites : l’Ukraine est dans un cas de figure bien différent des territoires russes pris à la Chine et son existence est en fait infiniment plus légitime.

Car si l’Ukraine n’existe pas ou ne devrait pas exister, comme essaie de la prétendre Vladimir Poutine, pourquoi les Ukrainiens parlent-ils ukrainien et pas russe ? Pourquoi l’ukrainien et le russe sont-elles deux langues distinctes ? Pourquoi les recensements linguistiques du XIXème siècle déjà démontrent-ils que toutes les régions de l’Ukraine, y compris celles actuellement revendiquées par les russes (Crimée, Donetsk, Luhansk…) étaient à majorité ukrainophone écrasante ? Là aussi, c’était la faute aux américains et à l’Occident ?! Pourquoi les ukrainiens sont-ils en guerre à armes très inégales contre la Russie et sont des centaines de milliers à se sacrifier et mourir pour une cause fallacieuse et une identité qui n’existe même pas, au lieu de rejoindre bien gentiment ce qui a toujours été apparemment leur plus chaleureux foyer ? Et ce, pas seulement parce qu’ils sont contraints de s’enrôler, mais parce qu’ils y croient ? Pourquoi une telle ferveur chez le peuple ukrainien et chez sa jeunesse, en dépit de ce que la guerre leur en coûte et de tout ce dont elle les prive ? Pourquoi même les femmes s’enrôlent-elles en masse dans l’armée ukrainienne, alors qu’elles n’y sont pas obligées, tandis que les russes envoyés en Ukraine ont pour beaucoup traîné la patte et ne savent même pas ce qu’ils font là ? Pourquoi les ukrainiens ont-ils voté pour leur indépendance en 1991 et massivement participé à l’Euromaidan ? Pourquoi étaient-ils juste avant la guerre 60% à soutenir une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, après avoir été seulement 14% en 2012, en dépit des menaces de la Russie ? Pourquoi des ukrainiens de langue russe comme l’écrivain Andrei Kourkov sont-ils opposés aux revendications de la Russie et ne soutiennent en aucun cas Poutine ?! Pourquoi les minorités ukrainiennes importantes comme les Tatars sont-elles farouchement pro-ukrainiennes (et ont été persécutées par les russes dans les territoires qu’ils se sont appropriés en Ukraine, ces dernières années) ? Pourquoi tous les français d’origine ukrainienne que je connais se considèrent-ils comme ukrainiens et ne souhaitent pas que leur pays retourne dans le giron russe ? Pourquoi ? 

C’est beaucoup de choses, tout de même, pour un pays qui n’existe pas, n’a pas vocation à exister, n’a pas le droit d’exister. 

Revenons à la langue. C’est immensément important. 

La langue signe incontestablement l’existence d’un peuple. Elle en est la preuve formelle. Parce qu’on peut tout fabriquer sauf ça.
Quand les frontières des pays africains tels que nous les connaissons aujourd’hui ont été délimitées, suite aux décolonisations occidentales, des ethnies se sont trouvées atteintes dans leur intégrité, séparées et éparpillées dans divers états, et d’autres ont été à l’inverse mélangées alors qu’elles ne vivaient pas ensemble. On remarquera d’ailleurs l’étonnante rectitude de certaines frontières sur ce continent, qui ne correspond à rien de ce que fait habituellement la nature, ni même la civilisation. Ces frontières finissent parfois par être acceptées, se stabiliser, rentrer dans les habitudes ; un vivre-ensemble bourgeonne, et cela est un miracle. Mais pour cela, le temps doit apposer son sceau et sa légitimité, de même que la volonté de faire cause commune. Si on peut « bricoler » un état et des frontières, on ne peut en revanche pas lui inventer une langue et une identité. Celles-ci se forgent et se polissent à l’usure des siècles. 

L’Ukraine a une langue, une culture, une identité, une géographie, une littérature même, et ce depuis des siècles. Remettre en cause sa souveraineté est une rare malhonnêteté qui confine à la falsification. 

Poutine n’est pas un ignare : sa grande tirade historique le prouve. Alors nous expliquer, avec tout le méthodisme de sainte-nitouche dont sont capables certaines Balance, que l’Ukraine ne doit pas exister aujourd’hui, puisqu’il y a 36 000 ans, quelques ancêtres des russes actuels auraient été vus en train de jouer à la marelle avec des cailloux, pisser debout et promener des boeufs dans un trou perdu qui se trouve désormais dans l’actuelle Crimée, c’est se moquer du monde, et pas qu’un peu. 

A propos Altana Otovic

Tout ce qui n'est pas écriture m'ennuie. Vous savez ça, vous savez tout. https://altanaotovic.wordpress.com/2021/02/01/qui-je-suis/
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Un commentaire pour Les mensonges par omission de Vladimir Poutine concernant l’Ukraine…

  1. Cyrano dit :

    « L’Ukraine a une langue, une culture, une identité, une géographie, une littérature même, et ce depuis des siècles. Remettre en cause sa souveraineté est une rare malhonnêteté qui confine à la falsification. »

    -L’Ukraine a DES langues (les différents dialectes ukrainiens ayant été unifiés par les linguistes soviétiques seulement dans les années 1920 en une langue standardisée, qui fut ensuite imposée à l’ensemble de la république).

    -L’Ukraine a DES identités (les Hongrois, les Roumains, les Polonais, les Juifs, les Russes, les Grecs, les Tatars). Ce n’est PAS un état monolithique. Le nationalisme ukrainien méprise ces peuples minoritaires, et l’histoire a montré que cette haine a pu mener jusqu’au génocide.

    -La Littérature ukrainienne est en partie russophone (Gogol écrivait en russe).

    CONCLUSION : Le nationalisme ukrainien et ses soutiens conduiront ce pays à sa perte. Seule une Ukraine respectueuse de ses minorités, des différentes histoires et mémoires des peuples qui la composent (y compris des Ukrainiens eux-mêmes, dans la diversité de leurs opinions), et qui se construirait dans la concorde et la fraternité avec TOUS ses voisins peut avoir un avenir.

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