Le rôle christique du peuple Juif

Christ walking on the waters, Julius Von Klever

Texte écrit il y a quelques années, peaufiné et publié le 29 août 2023 sur FB, et dont la suite est à lire ici : https://altanaotovic.com/2023/10/15/israel-une-faute-morale-originelle-minime-a-premiere-vue-mais-decisive/

A l’origine, l’être humain était nomade. Puis il s’est sédentarisé. Il a alors, dans sa fixité d’agriculteur assigné à un territoire et qui ne voit pas beaucoup d’autres horizons, développé un ancrage à son patelin, ses habitudes, au monde connu, une solidarité avec ce qui lui est familier, un attachement pour ce qu’il considère lui appartenir. Lorsque le peuple Juif a été chassé d’Israël et privé du luxe ordinaire d’avoir une terre, il s’est trouvé nomade dans un monde qui ne l’était plus, et ses membres sont devenus des étrangers partout où ils allaient, les mettant souvent à la merci d’une haine irrationnelle de la part de ceux qui ne connaissaient pas autre chose que leur monde faussement clos. C’est ce qui lui a permis de jouer un rôle particulier dans l’Histoire, bien sûr chaque peuple en joue un, mais les Juifs ont pu porter et incarner un message nouveau – parfois malgré eux – en voyant ce que les autres peuples n’étaient pas capables de voir. Ils ont du, contrairement à la plupart des peuples du monde dit civilisé, intégrer très tôt la fragilité des frontières, de cette forme de fixité artificielle, et la stérilité d’une forme de nationalisme. C’est ce qui a permis à tant de grands penseurs juifs d’être des avant gardistes dans la transmission d’une pensée universelle, construite sur une fraternité qui ne se basait pas seulement sur le sang. Bien sûr, il y avait toujours des exceptions, il y avait aussi certains juifs aux mentalités plus tribales et non accomplies, et ce serait tomber dans une généralisation fallacieuse que de considérer qu’on est forcément bon parce qu’on est Juif, mais globalement, ce mode de pensée plus évolué et conscient est devenu partie prenante de leur diaspora et c’est ce qu’ils sont venus apporter au monde, comme des messagers, essaimés un peu partout : ils sont venus dire la stérilité des attachements et l’impermanence des choses, la vocation à l’ouverture de l’humain. Ils ont aimé des femmes et des hommes qui n’étaient pas de leur appartenance, ils se sont fait aimer d’hommes et de femmes qui leur étaient étrangers, et ont disséminé ici et là les graines du mélange et donc de l’homme universel. C’est sans doute l’une des raisons du génie juif. On avance que ce sont les racines savantes de cette communauté et l’emphase mise sur l’éducation qui ont crée ce génie, car, à travers l’Histoire, ce peuple a du se battre pour sa survie et que l’accès à un statut social lui permettait d’être un peu moins à la merci de la haine populaire – et encore, pas tout le temps -, tout comme il est vrai que certaines métiers perçus comme maléfiques (usure, etc), leur étaient les seuls autorisés, ce qui a par ailleurs contribué à créer une image d’élite et de solidarité tribale si souvent brocardée par les antisémites, et il est vrai que cela a sans doute joué. Mais le Juif ultime et accompli est solidaire de l’humanité toute entière, et c’est précisément parce qu’il est venu apporter, parfois sans le savoir, parfois en le sachant très bien, cette vérité universelle au monde, de par sa simple existence, qu’il a récolté la haine de ceux qui étaient encore trop attachés à leurs illusions vitales, mais aussi l’adhésion progressive des gens à ce qu’il était venu professer. S’il fascine autant qu’il effraie, c’est que son message d’amour universel est aussi essentiel que vertigineux, qu’il réclame un abandon total de son ego et de ses certitudes.

Ce peuple a donné son corps un peu comme le Christ a donné le sien à l’humanité et dit sur la croix : « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Et dans ce sillage, l’humain a petit à petit ouvert les yeux.

Bien sûr, ce nomadisme sans terre les a mis en situation de grande précarité : éternels invités, à la merci de peuples souvent sous-évolués et archaïques, soumis au contexte du moment, au sens du vent, aux caprices des modes qui leur permettaient d’être tantôt acceptés et tolérés voire aimés, tantôt dénigrés et rejetés, ne pouvant se réfugier nulle part. Mais c’est précisément cette précarité, cette incapacité à se réfugier où que ce soit et à se créer une sécurité, qui est le corollaire de l’acceptation bouddhique de l’impermanence et du vrai don de soi christique, qui ont permis au peuple Juif d’exprimer sa grandeur : on ne tient plus à sa vie terrestre, le corps est une chair donnée aux affamés, un vin donné à ceux qui ont soif ; il n’est même valable et ne s’accomplit totalement que dans cet ultime don de soi.

Evidemment, tous les Juifs n’ont pas atteint cet état de grâce, mais ce peuple en porte la graine, et les Juifs qui y sont parvenus sont devenus bien souvent des phares pour l’humanité.

Être à la merci des autres, c’est devenir Christ, ou l’archétype Poissons en astrologie, c’est-à-dire un être dont l’existence et le sacrifice permettent à l’humanité de devenir un peu meilleure que ce qu’elle a été, un être qui s’est tellement universalisé qu’il ne voit plus rien d’anormal à ce que sa vie serve de courte échelle au progrès humain, même si cela signifie sa dissolution dans le procédé ; un être qui ne conçoit pas une destinée qui ne soit pas construite sur le service et le don de soi au profit de l’Univers. En d’autres termes, une âme, dans son plus parfait rayonnement.

C’est d’ailleurs pour cela que, malgré l’immense et bien compréhensible sécurité qu’apporte un Etat, surtout au regard de l’Histoire, et malgré la légitimité incontestable de ce peuple à s’établir en Israël, qui fut après tout son berceau, je ne suis pas sûre qu’il ne s’ampute pas quelque chose de sa plus grande richesse en y bâtissant un État-nation au sens traditionnel du terme, en s’établissant de nouveau ‘quelque part’. Peut-être est-il impossible d’effacer ce qu’une communauté a vécu au fil des millénaires, et peut-être cette essence, une fois apprise et conquise, peut-elle subsister, par delà les métamorphoses et l’ancrage géographique… Mais je suis sûre que certains Juifs, ceux qui ont atteint cet état de grâce ou qui le convoitent, comprendront très bien ce que je veux dire.

A propos Altana Otovic

Tout ce qui n'est pas écriture m'ennuie. Vous savez ça, vous savez tout. https://altanaotovic.wordpress.com/2021/02/01/qui-je-suis/
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